"La direction de Michele Spotti souligne la clarté formelle et sonore des successions et articulations des deux œuvres, sans trop en faire. Chaque idée musicale est finement accordée à un tempo qui lui est propre, comme si l’oreille ne pouvait traverser à la même allure les différents courants marins (Wagner) ou les étendues de territoire (Mahler). La gestuelle du chef est franche, minutieuse et ambidextre, ses rotations décidées, ses mouvements verticaux et latéraux virtuoses, tandis que se devinent ses mimiques qui ajoutent leur flux de sens en direction des instrumentistes. Il s’agit ici d’être vu de loin, de diriger pour l’horizon. Spotti manie le gouvernail d’une main de fer gantée de poésie, afin d’empêcher que les pupitres n’entrent en mutinerie les uns les autres, vents debout, en particulier les cuivres, de l’embouché du tuba au claironné de la trompette. Ainsi, dans cette quête de lumière, la direction est subtilement polarisée, continuellement soucieuse de maintenir le grand gong de l’orchestre dans les limites de l’assourdissant et du tonitruant. Ce terrible écueil est évité dans deux partitions qui profèrent des intervalles ascendants, des marches harmoniques conquérantes, et autres passages – rythmiques – cloutés. Côté orchestre, les cordes sont le socle, les cuivres, le couvercle, que viennent encore lester les percussions. Entre les deux, la petite harmonie constitue un liant discret, un ciment, précieux et indispensable, chargé d’arrondir les angles et de creuser des perspectives sonores inattendues. L’autre tendance propre à la direction de Michele Spotti est celle du chaos, bien sûr soigneusement organisé. Il s’agit de faire respirer l’orchestre, de le hisser sur le souffle du vaisseau (Wagner) ou du dragon (Mahler) et d’en accompagner le chant, le lyrisme. Le corps du chef semble ployer sous le désespoir, tandis qu’il retient la nuit de la marche funèbre (Mahler, premier mouvement), afin d’entendre toutes les dissonances – chercher de la résilience au cœur de la mort elle-même. Il entre en fugue, pas pour faire briller l’écriture, mais comme on entre en religion, seule réponse aux appels de détresse. Spotti restitue la poétique de l’insistance, de l’obsession qui git sous l’inspiration des deux compositeurs : leur matière-musique qu’il lance, étire, enlise, parvient enfin à extraire, avec un sens aigu de la conduite des phrases : ce « repartir de loin » qui permet à la musique d’avancer. L’adagietto de Mahler s’entend alors comme musique de Désir, accord de Tristan et Iseult indéfiniment prolongé. La petite harmonie, au rôle central et discret, parvient à se faufiler en courts soli de clarinette, flute et hautbois, avant d’être absorbée par les abysses et abîmes de la grande fugue (Mahler, troisième mouvement, cinquième mouvement). "
(Florence Lethurgez, Classykéo)